Avec la multiplication des plateformes de vente à distance (Uber Eat, Deliveroo, etc.) de très nombreux restaurants mettent en place un système de vente à emporter.
Ce phénomène a d’ailleurs été encore accentué avec l’épisode de crise du Covid-19, où de nombreux établissements ont été contraints de recourir à de la vente à distance, afin de pallier aux difficultés engendrées par la fermeture administrative de leurs établissements.
Dans ce contexte, nombreux sont les restaurateurs à s’interroger sur le cadre légal de la vente à emporter : tous les établissements sont-ils autorisés à faire de la vente à emporter ? Quelles sont les règles à respecter pour ce type d’activité ? Existe-t-il des formalités spécifiques ? Et qu’en est-il de la vente d’alcool à distance ?
Nous vous apportons ici quelques éclairages juridiques et des conseils pratiques.
Quels sont les établissements autorisés à exercer une activité de vente à emporter ?
L’activité de vente à emporter doit être mentionnée dans le bail commercial pour être autorisée.
En effet, l’activité de café-restaurant ou brasserie mentionnée dans le bail ne permet pas à elle seule l’exercice d’une activité de vente à emporter.
Les tribunaux considèrent ainsi que la vente de nourriture sur place et à emporter sont deux activités distinctes, qui ne relèvent pas de la même organisation et ne procèdent pas non plus de la même comptabilité (la TVA n’étant pas déterminée de la même manière notamment).
Ainsi, dans le cas où l’activité de vente à emporter ne serait pas autorisée dans le bail, le locataire devra informer le bailleur de son souhait de mettre en place ce type d’activité, dans le cadre d’une procédure dite de « déspécialisation partielle ».
Le bailleur aura alors deux mois pour autoriser cette activité ou s’y opposer. Passé ce délai, le silence du bailleur vaut acceptation, conformément à l’article L145-47 du Code de commerce.
Si le bailleur devait s’y opposer, le locataire peut saisir le tribunal judiciaire pour contester ce refus. Il y a fort à parier que les magistrats donneraient raison au locataire compte tenu de l’évolution des usages commerciaux, à moins que le bailleur ne dispose d’argument très sérieux pour s’opposer au déploiement d’une telle activité (à raison des troubles engendrés notamment).
Notons que le bailleur dans le cadre d’une déspécialisation partielle n’est pas autorisé à solliciter une augmentation de loyer immédiate. Il ne pourrait solliciter une augmentation qu’à l’occasion de la première révision triennale suivant la notification de la déspécialisation partielle, à condition de prouver qu’il en est résulté une augmentation de la valeur locative des locaux loués (L145-47 alinéa 3 du Code de commerce).
Il y a toutefois peu de chance que l’adjonction de l’activité de vente à emporter entraîne une augmentation de loyer dans le contexte de la crise actuelle. Au contraire, il est probable que les locataires puissent d’ores et déjà initier des négociations en vue d’obtenir une baisse du montant des loyers compte tenu de la situation économique.
Faut-il anticiper des formalités administratives spécifiques ?
Éventuellement, oui.
L’activité de vente à emporter/restauration rapide relève, selon la nature de l’activité, soit de la Chambre des Métiers, soit de la Chambre du Commerce.
La vente à emporter est de nature artisanale, en cas de fabrication artisanale de plats à partir de produits frais pour consommation immédiate à emporter ou à livrer (camions de ventes de pizzas, tartes, tourtes, viennoiseries, sandwiches, crêpes, gaufres, frites, hamburgers, plat, etc.).
La vente à emporter est de nature commerciale si l’entreprise compte plus de 10 salariés. La restauration rapide est commerciale, en cas de consommation sur place.
Ainsi, si vous souhaitez poursuivre une activité de vente à emporter sur le long terme, il conviendra, selon le cas, de procéder à une modification du Kbis et à une inscription à la Chambre des Métiers.
Une exception doit être notée en ce qui concerne le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, l’activité de vente à emporter étant systématiquement artisanale, quel que soit l’effectif de l’entreprise, dès lors qu’elle n’utilise pas de procédé industriel.
Point pratique à avoir en tête pour effectuer ces formalités :
Le CFE compétent est la Chambre de commerce lorsque l’activité est commerciale : en cas d’activité artisanale secondaire, le CFE de la Chambre de commerce reste compétent pour recevoir le dossier d’immatriculation de l’entreprise au RCS, mais il transmet ce dossier à la Chambre de Métiers pour une immatriculation au Répertoire des Métiers (ou au registre des entreprises dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle).
Le CFE compétent est la Chambre de Métiers lorsque l’activité est artisanale : en cas d’activité commerciale secondaire ou en cas de création d’une société commerciale, le CFE de la Chambre de Métiers reste compétent pour recevoir le dossier d’immatriculation de l’entreprise au répertoire des métiers (ou au registre des entreprises dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle), mais il transmet ce dossier au greffe du tribunal de commerce pour une immatriculation au RCS.
Qu’en est-il de la vente d’alcool à emporter ?
Il existe deux licences autorisant la vente d’alcool à emporter :
la « petite licence à emporter », permettant de vendre à emporter des boissons du 2ème groupe (boissons ne comportant pas, à la suite d’un début de fermentation, de traces d’alcool supérieures à 1,2 degré – vin, bière, cidre, poiré, les vins doux naturels, crèmes de cassis, jus de fruits ou de légumes fermentés comportant de 1,2 à 3 degrés d’alcool).
la « licence à emporter », permettant de vendre à emporter toutes les boissons dont la vente est autorisée. La licence de vente d’alcool à emporter concerne également la vente par internet ainsi que la livraison, ce type de vente étant assimilée à de la vente à emporter.
Aucune licence spécifique n’est requise pour de la vente à emporter de boissons non alcoolisées.
A noter : la vente de boissons alcoolisées la nuit peut être interdite par certaines communes. Il est donc nécessaire de se renseigner sur la politique municipale avant de mettre en place ce type d’activité.
Et même si la commune l’autorise, une autorisation spécifique est nécessaire pour la vente d’alcool de nuit, entre 22h00 et 8h00.
Conformément à l’article L3331-4 du Code de la santé publique, cette autorisation est conditionnée au suivi d’une formation de quelques heures afin de sensibiliser le commerçant aux normes particulières régissant la vente d’alcool de nuit.
A noter enfin, s’il s’agit d’une vente à distance : la plateforme de vente en ligne doit obligatoirement comporter les mentions légales relatives à l’interdiction de vente d’alcool aux mineurs.
Quelles sont les sanctions en cas de non-respect de la règlementation ?
Conformément aux dispositions de l’article 3352-4-1 du Code de la santé publique celui ou celle qui démarre une activité de vente d’alcool à emporter sans autorisation préalable encourt une peine de 3 750 euros d’amende.
De plus, il convient de rappeler que la vente de boissons alcoolisées dans des distributeurs automatiques est interdite et punie de 3 750 euros d’amende conformément aux dispositions de l’article 3351-6 du Code de la santé publique. Même si cela ressemble à s’y méprendre à de la vente à emporter, cela n’est pas autorisé en France car aucun contrôle de l’âge des consommateurs ne peut être appliqué.
Dois-je mettre en place une organisation spécifique pour les livreurs ?
Il faut surtout éviter les attroupements de livreurs ou de clients à l’entrée de l’établissement, qui pourraient être générateurs de troubles.
En effet, l’article L332-1 du Code de la sécurité intérieure dispose que la fermeture temporaire d’un établissement effectuant de la vente à emporter peut être imposée par l’autorité administrative en cas de non-respect de l’une des trois composantes de l’ordre public : tranquillité, salubrité, sécurité publique.
Ce point est particulièrement important à l’occasion de la crise sanitaire actuelle : le restaurateur devra notamment veiller à faire respecter les mesures de distanciation sociale qui s’imposent pour des raisons de sécurité.
De leur côté, les voisins pourraient également chercher à mettre en cause votre établissement sur le fondement des troubles anormaux du voisinage, ou du tapage nocturne ou diurne, si la mise en place de la vente à emporter était génératrice de nuisances sonores importantes. Des décisions sont régulièrement rendues sur ce point, condamnant les exploitants à indemniser leurs voisins du préjudice subi à raison des nuisances sonores.
Il incombe donc au restaurateur de s’organiser pour éviter les attroupements de livreurs ou de clients devant son enseigne.
Baptiste Robelin – Avocat – Droit des affaires